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Fabrice Hourlier : un chef indigène


Fabrice Hourlier est le directeur de la société Indigènes Production spécialisée dans les programmes audiovisuels ayant recours aux nouvelle technologies. Leurs comédiens sont filmés en temps réel pendant que les arrière-plans et autres éléments de décors sont incrustés sur fond vert, en 3D. De très grande qualité artistique, les productions "Indigènes" mettent en scène des reconstitutions historiques époustouflantes comme les campagnes Napoléonienne ou le Destin de Rome, mais aussi des programmes culturels comme d'Art d'Art de Frédéric Taddeï ou Metronome avec Lorant Deutsch. Ses productions se vendent dans le monde entier même lorsqu'il tourne en grec ancien. Ce passionné intarissable nous accorde une entrevue privilégiée parce que lui aussi aime les affiches de cinéma.


Portrait de Fabrice Hourlier

Bonjour Fabrice. Alors raconte-nous un peu ce qui t'a poussé à faire le métier que tu fais. Je rêve d'être réalisateur depuis l'âge de 11ans. En fait je voulais raconter des histoires comme celles qu'on raconte aux enfants. Tu as les écrivains qui le font c'est vrai, mais j'ai choisi la réalisation. Après mon bac j'ai acheté un camescope V8 et je suis parti en Asie. Je suis resté six mois avec une ethnie montagnarde : les Karen qui luttait contre la dictature Birmane. J'ai filmé leur combat, leur mode de vie, leur philosophie... De retour à Paris j'ai décidé de montrer mon travail à la 5 qui diffusait l'émission « Reporters » de Patrick de Carolis (diffusée de 1987 à 1991, NDLR). Il a vu le film et il était « sur le cul ! » (rires). C'était des images de guerre certes mais quand même propres, stables avec des travelling et tout... on a fixé un rendez-vous la semaine d'après mais pas de bol le service militaire m'est tombé dessus. J'ai eu beau expliquer que j'avais des obligations et tout ça, rien à faire j'ai eu la boule à zéro(rires)! Après le service j'ai commencé les courts-métrages sur fond vert avec l'Amiga 2000, comme un artisan qui bosse avec ses outils à la maison ! Ensuite lors d'une soirée Sidaction que toutes les chaînes passaient en même temps, j'ai réussi à designer le logo avec mon Amiga ! Il se trouve que Mac Lesggy présent à ce moment cherchait un réalisateur. Je lui ai montré un court que j'avais fait et qui s'appelait « Klones » une histoire d'amour entre un être humain cloné et un autre non-cloné sur fond vert en Amiga toujours ! Il m'a dit : « Tu commences dans deux mois ! » Quels sont les corps de métiers représentés au sein d'Indigènes ? La production et la post-production. Il y a deux producteurs et un chargé de production. Ensuite tu as les graphistes, les modélisateurs, les animateurs qui font de la 3D compositing. On a aussi un ingénieur développeur pour les algorithmes quand on a besoin de textures complexes comme l'eau, la foule etc. En tout lorsqu'on tourne à plein régime on est douze. Dans le milieu du numérique et effets spéciaux en France, on connaît Mc Guff Line et Buff Company. Qu'est-ce-qui te rend différent des autres ? J'adore leur travail ! Eux ils sont surtout axés cinéma et publicités. La différence c'est donc la méthode de fabrication et le budget bien sûr. Moi je fais de la télé. Pour te donner un exemple un film comme Master & Commander (Peter Weir, 2003) a coûté 800 000 000$ et mon Trafalgar 500 000€ ! Un épisode de la série Game of Throne c'est 9 000 000$ et un épisode des Borgia sur Canal+ c'est 3 000 000€... Les méthodologies sont totalement différentes, ils peuvent démultiplier la hiérarchie et même « Tayloriser » leur 3D : un mec que pour le visage, un autre que pour les cheveux etc. Nous on est plus dans une approche à la « japonaise », en tous cas celle du film Final Fantasy où le graphiste a un rôle global. Il travaille complètement sur un modèle donc ça réduit les postes, les axes de caméra... En tous cas dans notre domaine de productions culturelles et historiques on est deuxième derrière Apocalypse (Apocalypse Productions est spécialisé dans la colorisation d'images d'époque, NDLR) et on vend à l'international : en Amérique, en Chine, au Maghreb, en Russie, en Israël... Toujours dans ce milieu, on a l'habitude de voir des grosses productions américaines, ou asiatiques justement. C'est quoi leurs points forts d'après toi et leurs points faibles par rapport à la France ? Je ne leur vois pas beaucoup de points forts hormis les gros budgets et la taille du pays. Techniquement et artistiquement on n'a rien à envier aux autres. Pour la petite histoire un jour je reçois un coup de fil et au bout c'est le directeur d'History Channel à New York ! Il me dit en anglais que des reconstitutions historiques à petits budgets ils n'arrivent pas à faire et que travailler avec des studios californiens ou parisiens c'est pareil en terme de décalage horaire ! Donc on leur a vendu Trafalgar ! D'un point de vue logistique, quels sont les moyens dont tu disposes ? Les producteurs ils achètent des salles de montage et font de grosses campagnes. Moi j'ai des ordinateurs 3D, 10 postes équipés avec 3DS Max, Photoshop, After Effect. Et puis pour le Render Farm (calcul des images de synthèse, NDLR) j'ai bien sûr une salle climatisée. Sur ton site tu parles d'une technologie appelée « Oculus », de quoi s'agit-il ? C'est un casque de réalité virtuelle, une sorte d'écran de télé, un nouveau média. Imagine-toi enfermé dans une géode qui diffuse une image à 360°. Tu es au milieu de l'action, quand tu tournes la tête tu vois le sol et les autres personnages ! Tu peux être avec des chevaliers du XIIème siècle ! Au départ c'est quatre jeunes dans un garage qui ont fait ça en Californie et ils ont envoyé une démo à Mark Zuckerberg. Il a acheté leur technologie pour 2 000 000 000$ donc à mon avis ça doit être bien (rires) ! On peut imaginer une visite de musée, un concert, une fiction... Des boîtes comme Sony ou Microsoft sont en train de travailler dessus. Les lunettes vont coûter 350$ au début, donc pas trop cher, mais il n'y a pas de contenus, donc la demande va être énorme. Esthétiquement tes productions sont superbes. Même l'histoire de deux aviatrices des années 40 devient passionnante ! C'est quoi ton secret ? C'est une mécanique d'écriture presque mathématique je dirais. Le scénario est écrit en fonction de ça, les moments forts du film, les émotions à transmettre... On passe en « prime time » donc il faut capter l'audience et ciseler un peu à l'américaine (rires) avec toutes leurs séries qui tiennent en haleine. C'est un calcul qu'on fait pour que cela soit addictif. J'ai remarqué que tu fais tourner les acteurs dans la langue d'origine comme le latin par exemple. C'est ton côté Mel Gibson ? Exactement ! En fait j'étais en train de regarder la série Rome en anglais. Je me suis dit qu'on n'allait pas la faire en français quand même ! Allons à fond dans la réalisation et faisons-le en latin ! Le latin on a des racines communes, on a quelques repères mais pour le grec ancien c'était horrible !(rires) Et pour les acteurs ce n'était pas trop compliqué ? Super dur ! En fait on a demandé à des latinistes d'enregistrer en mp3 toutes les phrases du film et pendant deux mois les acteurs sur leurs iPod ont répété et appris les prononciations en phonétique. Moi je me baladais avec un dictionnaire français-latin pour pas être trop perdu ! Mais tu vois on l'a vendu dans 80 pays en latin et sous-titré en anglais ! Même les chinois l'ont acheté ! Tu as travaillé avec beaucoup de comédiens dont Marc Duret (voir interview). Il a un talent fou mais on ne le voit pas assez en France je trouve. Tu partages cet avis ? Complètement ! Tout à fait d'accord avec toi. Je l'adore Marc. J'ai travaillé sur Au nom d'Athènes en grec ancien avec lui. Et puis pour Napoléon je l'ai rappelé parce que c'était évident : il a une corpulence proche du vrai, il est méditerranéen comme lui et puis il a ce charisme naturel incroyable. Après un réalisateur il travaille avec sa zone de rayonnance et il faut qu'il t'appelle. C'est sa démarche à lui, il a son entourage. Mais ce n'est pas un manque de talent, loin de là. Et maintenant les affiches ! Est-ce-que tu aimes les affiches de films ? Bien sûr ! Elles illustrent bien les différences culturelles des pays et leurs segments de public. Tu vois les différences entre une affiche anglaise, française, chinoise ça n'a rien à voir. Et puis il y a toujours cette touche artistique, on lisse les visages, c'est pastellisé, un peu comme un tableau en fait. Quels genres de films tu regardes ? Je dis : « les bons films en général! »(rires). Je peux regarder un film expressionniste allemand des années 30 comme Blade Runner. En général j'aime bien le fantastique, la science-fiction, Jean-Pierre Jeunet, Tim Burton. Récemment j'ai vu un film d'arts martiaux génial : Yip Man (Wilson Yip, 2008) Ton affiche de film préférée et pourquoi ? C'est les affiches de films qui m'ont fait rêver quand j'étais adolescent : Star Wars, Blade Runner, Brazil... J'ai adoré celle de Delicatessen avec le cochon. Et puis dernièrement j'ai beaucoup aimé celles de Mad Max Fury Road, très métal hurlant dans le style (réalisées par l'agence RYSK dont vous pouvez trouver l'interview en cliquant ici) Ton film culte ? Brazil de Terry Gilliam. Même s'il a un peu vieilli c'est lui qui m'a donné envie de faire du cinoche. Et puis j'aime beaucoup Nikita de Besson, les films de Scorsese... Dernièrement le meilleur film d'horreur que j'ai vu c'était Saw. Le tout premier c'est une tuerie avec un vrai scénario. J'aime énormément Massacre à la tronçonneuse aussi, celui de Tobe Hooper, l'original. Il a créé une nouvelle vague à contre-courant de son époque qui filmait avec des grues et des gros moyens. Lui a tout fait à l'épaule au fin fond du Texas. Ton réalisateur culte ? Je suis obligé de dire Spielberg. J'ai revu Duel cette semaine. Un huis-clos extraordinaire avec une tension du début à la fin. En plus ça a pas dû coûter très cher ! Et puis il sait tout faire Spielberg : de la télé, du cinéma... il produit, il réalise... Affiches de Delicatessen, Blade Runner et Starwars Une belle affiche fait-elle un bon film ? Alors malheureusement non, pas forcément. En fait je remarque que c'est une concordance de talent, souvent le bon film a une belle affiche et inversement. A contrario tu prends Gladiator par exemple, un super film mais son affiche est très « bof » avec Russel Crowe les bras ballants... Qu'est-ce que tu aimes voir sur une affiche ? L'idée du film, l'histoire qu'il va nous raconter. Maintenant trop souvent on colle l'acteur plein pot et au milieu pour vendre le film sur lui. J'aime énormément celle de Brazil, elle est passionnante avec ce type en armure au milieu des tiroirs... c'est un poème surréaliste. J'aime aussi les affiches indiennes, chinoises, africaines même avec leur aspect naïf qui évoque l'aventure du film. As-tu déjà vu un film grâce à son affiche ? Non par contre j'amène une nuance : j'ai un super Vidéo Club à côté de chez moi et souvent je loue grâce à la jaquette. C'est comme la couverture d'un livre qui t'attire et te séduit. La personne qui t'a le plus marquée dans ce milieu ? (Il réfléchit) J'ai surtout subi l'influence des gens du cinéma lorsque j'étais plus jeune. Un jour j'ai croisé Spielberg à Los Angeles mais je n'ai même pas osé l'aborder ! (rires) En fait j'aime les réalisateurs qui aiment les images comme Jeunet, Kounen ou même Peter Jackson. La rencontre que tu n'oublieras jamais ? Mmm... j'ai reçu quelques aides dans ce métier. C'est un milieu difficile. En fait je réalise que j'ai surtout reçu l'aide des femmes mis à part Arthur il y a très longtemps lorsqu'il débutait et surtout Mac Lesggy après. J'apprécie énormément Véronique Cayla par exemple (présidente d'Arte, NDLR) qui a beaucoup de pouvoir et est capable de dire : « OK ! Je te suis sur cette idée ! », c'est très rare à la télé. Ta dernière « claque » au cinéma c'était quand ? Gravity ! Même moi qui suis technicien je suis ressorti en nage, tendu et tout transpirant ! Matrix était vraiment bien aussi. Et puis plus récemment Mad Max Fury Road m'a mis par terre parce que Miller a réussi la prouesse de faire un film d'action de 2h15 avec ses bagnoles et cet univers post-apocalo ! Et puis il a réussi à filer le rôle principal à une femme, ça c'est fort ! J'avais envie de le revoir aussitôt. Ton meilleur et ton pire souvenir de travail ? Pour le meilleur je dirais Trafalgar et le Destin de Rome. Quand tu vois le succès d'audience, le public qui te suit et la vente à plus de 100 pays derrière c'est une grande joie. Après je suis aussi papa ! Donc mes enfants et mon mariage font partie de mes meilleurs souvenirs quand même(rires)! Après le pire... Peut-être il y a 20 ans je devais réaliser des trucages pour un programme télé et à 2h du matin le réalisateur se pointe complètement bourré. L'équipe était en pleine embrouille syndicale et le mec insultait tout le monde ! Je me suis vraiment demandé ce que je faisais là ! Sinon pour Napoléon les 200 costumes ont brûlé 15 jours avant le tournage. On a redoublé d'effort pour tout recoudre, tout recommander en urgence chez les russes, les espagnols... et au final on y est arrivé. Fabrice merci beaucoup pour ton temps. Merci à toi, je t'en prie.