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Les immortels Shaw Brothers


Histoires de fantômes chinois

Le cinéma asiatique ressemble à ses restaurants: kitsch, varié, coloré, populaire. On aime s'y retrouver pour passer un bon moment dans un cadre atypique, comme devant leurs films. Mais comment expliquer son dynamisme actuel, sa spiritualité, son graphisme ? Tout commence avec la désormais mythique Shaw Brothers Company. Véritable tête de pagode de la culture populaire chinoise et inspirateurs des plus grands réalisateurs actuels, un rapide historique s'impose car avant de plonger au coeur de leurs affiches, il est nécessaire de connaître la génèse des frères "Shao". Il était une fois en Chine

Nous sommes en 1924 à Shangaï lorsque Tan Sri "Runme" Shaw, troisième fils d'une riche famille locale décide de se lancer dans la production cinématographique. Il est rejoint deux ans plus tard par deux de ses frères: Run Run et Runje qui le soutiennent dans son initiative. Malgré des problèmes de censure gouvernementales et la concurrence Shangaienne, la société trouve un nom : la "Unique Film Production" (Tianyi I Unique en chinois), grâce à laquelle les trois frères distribuent des films muets en noir et blanc. Ils intègrent bientôt le marché de Singapour en rachetant la société Hai Seng. Dans la foulée ils ouvrent plusieurs salles de cinéma aussi bien dans les grandes métropoles que dans les coins reculés de Chine et de Malaisie. Par l'intermédiaire de Run Run basé à Singapour, la distribution de films étrangers bat son plein. Le sud-est asiatique découvre grâce à lui les premiers films parlant venus d'Occident et les Marx Brothers. En 1934 c'est l'évènement : Runje est ses frères produisent les deux premiers films parlant chinois à savoir The Nightclub Colours et White Dragon qui scellent définitivement leur succès auprès du public. La politique s'en mêle Entre 1930 et 1950, la Chine traverse une forte période de troubles économiques et sociaux. C'est la Grande Dépression. Invasion japonaise meurtrière sur fond de guerre civile où s'affrontaient les communistes du PCC et nationalistes du Kuomintang. Clairvoyants, les frangins Shaw se diversifient avec l'ouverture de parcs d'attractions sur Shangaï et la création d'une succursale basée à Hong Kong en 1934 : la "Unique Hong Kong" qui deviendra "Nanyang" quatre ans plus tard et dirigée par Runde. Malgré ces initiatives, les conflits créent beaucoup de problèmes à la fratrie. Les japonais réquisitionnent leurs cinémas pour diffuser des films de propagande puis récupèrent leurs parcs d'attractions avant d'interdire l'exploitation des films américains. Pire, lors de l'invasion de Shangaï par l'armée impériale en 1937, les studios Shaw sont détruits. Durant cette sombre période, Nanyang produira exclusivement des opéras musicaux en cantonais, principal dialecte de la chine du sud, Hong Kong et Macao. Clear Water Bay à Hong Kong © itishk.com A la fin de la guerre, Hong Kong est libérée mais les britanniques s'installent en Malaisie et à Singapour. La concurrence a bien compris les attentes du public en matière de divertissement. En 1950 de gros studios sont fondés et comptent bien s'offrir une part du gâteau de la famille Shaw, c'est le cas notamment de MPGI (Motion Picture and General Industry), Great Wall Pictures Corporation ou encore la Fenhuang Motion Picture Co. Bien sûr ceci entraîne une réaction quasi instantanée. Run Run rejoint Runde à Hong Kong pour fonder la "Shaw and Sons Ltd" en 1957 qui devient "Shaw Brothers" un an plus tard. Les deux frères s'associent au géant japonais de l'époque le distributeur "Daiei". La politique est claire : productions massives de films en mandarin pour la totalité du sud-est asiatique. Là où le cantonais ne ciblait qu'un public "restreint", le mandarin standard lui, s'étend à tout le territoire chinois et au-delà avec plus d'un milliard d'utilisateurs. C'est l'occasion pour Run Run d'acquérir de gigantesques terrains sur lesquels il construit des studios de tournage, des décors et même des écoles d'acteurs. C'est l'explosion des premières stars chinoises comme les actrices Lin Dai, Ivy Ling-Po, Li LiHua ou Li Ching. Côté réalisateurs le kung-fu trouve ses maîtres universels en la personne de Chang Cheh ou le mythique Liu Chia Lang tandis que King Hu réalise en 1966 L'hirondelle d'or, chef d'oeuvre indétrônable des studios Shaw. Des centaines de techniciens sont embauchés parmi les meilleurs du pays, beaucoup seront envoyés par Daiei. Au début des années 60 Run Run et Runde présentent leurs premiers films à Cannes et obtiennent plusieurs succès critiques et commerciaux. Actuellement on peut toujours admirer leurs célèbres studios de 46 hectares dans la Clear Water Bay de Hong Kong. Quand la Chine s'éveillera... A bout de souffle et lâchés par plusieurs de ses talents au début des années 80, la Shaw family décline lentement mais sûrement. Raymond Chow claque la porte et fonde sa fameuse "Golden Harvest" grâce à laquelle il découvrira un certain Bruce Lee (voir dossier) mais aussi Jackie Chan et Tsui Hark. C'est la nouvelle vague Hong-Kongaise qui déferle et la Shaw va se replier sur elle-même. Malgré cette érosion, les frangins de Shangaï restent parmi les premiers producteurs mondiaux. Fidèles à leur politique d'émancipation, ils fondent la TVB en 1973, accessible sur satellite. Ils se lancent dans la production de séries télé et ne distribuent plus que des gros succès européens ou américains sur leur territoire et le sud-est asiatique. Propriétaires de salles, ils innovent en construisant des multiplexes modernes et autres cinémas géants. Quant aux productions "maisons", elles ne sont plus qu'une vingtaine à la fin des années 80 jusqu'à leur disparition totale en 1985. Run Run Shaw © easternkicks.com Un second souffle est néanmoins amorcé par des réalisateurs comme Quentin Tarantino ou les rappeurs du Wu Tang Clan, fans extrémistes du studio. On pourrait également citer le "Ghost Dog" de Jim Jarmusch ou encore George Lucas dont les combats de sabres laser s'inspirent directement des meilleures scènes de Liu Chia. Des éditeurs comme Wild Side et Celestial éditent régulièrement les meilleurs films des frères Shaw. Les collectionneurs du monde entier s'arrachent leurs affiches désormais collector et les sites web cinemasie.com, easternkicks.com ou cine-asie.fr se font un plaisir de publier des articles sur la génèse de la compagnie. Décédé à l'âge de 104 ans le 17 janvier 2014, le vieux Run Run peut dormir tranquille : sa famille veille au grain. La publicité made in Raymond L'ambition artistique va de paire avec la communication. Pendant l'âge d'or de la Shaw Brothers (1957-1983), les studios de Kowloon comptaient près de 25 départements et 1500 techniciens pour une production annuelle d'environ 40 films en couleur grâce à la technologie Eastman Color, développée par Kodak dans les années 50. En 1965 la Shaw Brothers prend l'allure d'un véritable empire avec 35 sociétés, 9 parcs d'attraction, 130 cinémas et plusieurs studios dispersés entre Hong Kong, Singapour et Kuala Lumpur. Quant aux films américains ils seront distribués exclusivement par la famille Shaw. Films de sabre, comédies absurdes, arts martiaux, érotisme, reconstitutions historiques, tout y passe chez les Shaw ! Mais leur succès doivent beaucoup au talent de Raymond Chow que Run Run engagera en 1962. Ex-journaliste et catapulté directeur de production de la Shaw Brothers, Raymond est un as de la com' et les affiches jouent un rôle clef dans les campagnes promotionnelles. Avec le regard actuel, leurs affiches sentent bon le papier journal et le bouquiniste du coin alors penchons-nous vite sur quelques vrais morceaux du 7ème art.



Le temple du lotus rouge

Temple of the Red Lotus

Réalisation : Teng Hung Hsu (Hong-Kong, 1965)

Premier film de sabre en couleur de la Shaw Company. Affiche réalisée à l'ancienne comme un Jean Mascii ou un Bryan Bysouth avec base croquis "à tel" et pinceau acrylique. On assiste aux affrontements entre dépositaires du Kung-Fu ancestral et des bandits de grand chemin. Les Shaw posent leur style : dominante rouge et costumes extravagants. Tourné en "Shawscope" les nouvelles éditions DVD remettent à l'honneur un classique du genre. Ringo Lam proposera un remake cru et violent en 1994.

Le guerrier manchot

The one-armed swordsman trilogy

Réalisation : Chang Cheh (Hong-Kong, 1967)

Affiche rétro-bordélique de la série cultissime et sanguinolente de Chang Cheh ayant largement inspirée le The Blade de Tsui Hark qui en a chopé une insomnie. Les Shaw utiliseront souvent ce système de "composition éclatée". On retrouve le cadrage "Shawscope" et le Eastman Color sur la pellicule qui accompagnent Ti Lung et David Chiang, les deux acteurs fétiches du réalisateur. Sauvage mais sans Johnny Depp.

The Shadow Whip

The Shadow Whip

Réalisation : Wei Lo (Hong-Kong, 1971)

Sublime affiche dynamique et diagonale. Pure acrylique old school avec Cheng Pei-Pei l'actrice-totem des studios. Superbes combats entre sabre et fouet sur fond de meurtre, vengeance et mystère, les thèmes favoris des frères. Décors magnifiques, photo soyeuse et réalisation kitsch comme une geisha au fond du verre de saké.

Affiche La main de fer

King Boxer aka Five Fingers (la main de fer)

Réalisation : Chang-Hwa Jeong (Hong-Kong, 1972)

Produit par Run Run lui-même. Une pure affiche dont on peut dire qu'elle inspira les premières de Star Wars parues cinq ans après (voir dossier). Mais ce n'est pas tout, le modèle de King Boxer façonnera tous les autres films d'arts martiaux de Dragon Ball à Volcano High en passant par Crazy Kung-Fu et Jean-Claude Van Damme : écoles rivales, oppositions de styles, vengeance, tournois, bons gentils contre vilains voyous. Et admirez-moi cette paire de bras croisés en opposition aux idéogrammes !

Super Ninjas

Super Ninjas aka Five Element Ninjas

Réalisation : Chang Cheh (Hong-Kong, 1982)

L'âge d'or touche à sa fin mais le vieux Chang balance une nouvelle tatane en mandarin. Trop largement sous-estimée, cette affiche graphique est la vitrine parfaite du chef d'oeuvre pour drive-in au mois d'août et vidéos club crasseux. Combats époustouflants et thèmes habituels du jeune innocent qui cherche sa revanche et la trouve. Un joyau de la couronne.

Boxer from Shantung

Boxer from Shantung

Réalisation : Chang Cheh (Hong-Kong, 1972)

Le film sans qui John Woo n'existerait pas. Plan gore, ultra-violence et grandiloquence vintage porté par un acteur au charisme farouche : Chen Kuan Tai. Affrontements mafieux pour une affiche qui en met plein la gueule aux mandarins avec son héros imberbe aux muscles saillants.

La 36ème chambre de Shaolin

Shaolin 36th Chamber aka Master Killer

Réalisation : Liu Chia-Liang (Hong-Kong, 1978)

Tarantino et RZA ne passent pas une semaine sans le voir. "Masta Killa" en a tiré son nom de scène. Le nom même du groupe "Wu-Tang Clan" est issu de la discipline du même nom prônée par Wong Fei-Hong et Liu Chia-Liang. Le maître filme un parcours initiatique plein de rancoeur, d'entraînements surhumains de sourcils froncés et d'abdos en béton ciré. Un film totem avec son affiche largement articulée autour de sa star aux griffes acérées : Gordon Liu. Pour la forme, les frères Shao produiront deux autres suites en 1980 et 1985. Immortel.

Affiche L'hirondelle d'or

L'hirondelle d'or aka Come Drink With Me

Réalisation : King Hu (Hong-Kong, 1966)

Il y a des films qui marquent bien au-delà du public. Malgré une affiche bordélique et des coups de pinceau nerveux le message passe : les films d'arts martiaux ne seront plus jamais les mêmes. Ang Lee s'en inspire pour son Tigre et Dragon en 2000. Quête spirituelle menée par la star Cheng Pei Pei sous l'oeil d'un des plus grands réalisateurs chinois. Poétique et violent, mystérieux comme l'Asie, inoubliable.

Rape of the Sword

Rape of the Sword

Réalisation : Yueh Feng (Hong-Kong, 1967)

Les frères Shaw seraient-ils les premiers féministes de l'histoire du cinéma ? Bien avant George Miller et sa "Furiosa", Run Run donnait un rôle fort à Li LiHua et Ching Lee avec la relation étudiant-professeur, thème cher à un autre George, Lucas cette fois-ci. Les maîtresses au sabre s'en vont chercher l'épée légendaire au nez et à la barbe du méchant dictateur-vampire. Alors féministes ? Peut-être, mais surtout visionnaires.