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Made in France vs. Making of


Making of a terrorist : première partie

Making of et Made in France © agence RYSK

Tout est dans le slogan : on ne naît pas terroriste on le devient car la menace vient de l' intérieur. Double jeu de mot d'ailleurs : intérieur d'un pays ou intérieur d'une personne ? Un peu des deux sans doute. Mais l'analyse s'arrête-là car le mécanisme du terroriste est très simple en fin de compte : idiot-utile du système, il sert des intérêts qui le dépassent. Les belles affiches vous livrent une rapide explication du phénomène grâce à quatre films indispensables, dont deux issus de pays récemment frappés par des attentats-suicides particulièrement violents : la France et la Tunisie.


Making of (Nouri Bouzid, Tunisie, 2006)

Preuve que l'affiche ne fait pas le film. Avec sa jaquette digne du bac à chewing-gum GIFI, on pourrait passer à côté, ou pire, insulter le film. Heureusement le regard ténébreux de Lotfi Abdelli (récompensé pour l'occasion par un "Best Actor Award" au Tribeca Film) nous accroche. Le film du sfaxien Nouri Bouzid ne se regarde pas il se subit. Sa force c'est que du premier plan au dernier il est impossible de regarder ailleurs. Bien mieux qu'un documentaire d'Envoyé Spécial ou qu'un reportage 66 minutes, on vit au cœur de la scène, on partage tout, on fait parti du scénario. L'école Nord-Africaine est d'ailleurs une spécialiste de la mise en scène-vérité, pas de fioriture ou d'effets de style à l'Occidental. Les décors sont entièrement naturels, les acteurs percutants, le rythme frénétique, impatient et brûlant comme le soleil de Méditerranée. Ici, « Bahta » est un breakdancer sans d'autres ambitions que de profiter de la vie et si possible, le plus loin possible de la Tunisie. Problème : il n'a pas d'argent, vient d'un quartier pauvre et s'embrouille trop souvent avec sa copine. Pire : il n'est même pas fiancé ! Il devient vite une proie pour les barbus qui se chargent bientôt de le « récupérer » pour lui inculquer leurs propres valeurs. Frustration, avenir inexistant, misère sociale et intellectuelle, le terreau est fertile pour les prédicateurs qui jouent sur la corde sensible des jeunes de quartier. Un peu d'écoute, un peu de respect, un peu à manger et la confiance est établie. Pourquoi attendre l'aide d'un gouvernement et vivre dans le pêché quand on peut finir au Paradis entouré de ses potes ? Nouri Bouzid explore la froide mécanique du recrutement, ses codes, ses arguments fallacieux, ses influences néfastes, s'autorisant même à filmer les pétages de plomb du vrai Lotfi Abdelli rongé par le doute. Une expérience cinématographique dérangeante et forte.

Made in France (Nicolas Boukhrief, France, 2015)

L'affiche vaut tous les discours. Chef d'oeuvre pictural signé agence RYSK (relire l'interview), le secret réside dans la désaturation des couleurs primaires. Police d'écriture ? Une magnifique Trajan, rehaussée d'un dégradé rouge Bordeaux. Evidemment, après le 13 novembre, on imagine la tête des gens dans le métro face à l'affiche. Depuis, la RATP a tout viré et RYSK a supprimé le calque « kalachnikov ». Boukhrief est un habitué des polars sauce froide et relevée. Tout comme son confrère tunisien, « Nico » plonge sa caméra dans les viscères d'un groupe radical pour mieux nous expliquer leur fonctionnement, de l'embrigadement au passage à l'acte, en passant par les différentes sources de trafic inhérents au grand banditisme. Moins « brut » que Making of, plus graphique aussi, le film ne bénéficiera pas d'une sortie en salle et passera directement par la case VOD. L'actualité peut l'expliquer en partie, le public n'ayant pas envie de payer pour se faire du mal. Mais dans le fond c'est la frilosité des distributeurs qui est en cause car le film est avant tout une victime involontaire. Ceci dit, l'intelligence de Boukhrief tient quand même dans cet incroyable casting à la gueule d'ange. Le mythe du sale terroriste mal-rasé-amateur est révolu. La planification est militaire, l'apparence impeccable, l'exécution parfaite. C'est évident, des forces occultes ont un intérêt à réussir l'attentat, mais cet intérêt il dépasse ses propres acteurs.

Making of a terrorist : seconde partie

L'intégriste et Secret Défense © Rageman pour l'agence RYSK

L'intégriste (Nader Galal, Egypte, 1994)

Une affiche à l'ancienne comme le font encore les bricoleurs du Maghreb. Collage et photogravure font plus que Photoshop ou que traceur numérique. Nous avions déjà parlé d'Adel Imam dans le dossier consacré à Immortan Joe et les dictateurs au cinéma (cliquez ici pour relire). Son film L'intégriste (al irhabi en arabe), suit le parcours d'un jeune paumé des bas quartiers du Caire bien vite récupéré par un sympathique groupe de Frères Musulmans. Les écarts entre quartiers riches et pauvres en Egypte sont absolument énormes. Les jeunes n'y voient aucun avenir et ramassent les ordures pour survivre pendant que leurs voisins posent du marbre dans les chiottes de leur villa. Les "quartiers" sont donc des lieux de choix pour les recruteurs. Les techniques d'endoctrinement sont les mêmes: de l'écoute, du respect, de l'autorité et beaucoup de promesses sur une vie meilleure dans l'au-delà, puisqu'ici bas il n'y a que le vice et le pêché. Adel Imam incarne parfaitement l'idiot-utile d'un système corrompu par l'ambition et la soif de pouvoir. Persuadé de gagner sa place au Paradis en tuant les ennemis de l'Islam, il ne sert qu'en fin de compte l'intérêt personnel d'un opposant au régime, en l'occurence le Frère "Saïf". Il faut un long processus de désintoxication pour soigner le mal, la scène du match de foot en est le parfait exemple.

Secret Défense (Philippe Haïm, France, 2008)

Pour l'affiche on retrouve la "patte" de Rageman : gros flou de surface pour un rendu plastique impeccable. On admire la parfaite gestion de la plume pour le détourage des cheveux, l'option amélioration des contours peut aider tout comme les contrastes sur couche alpha. Belle finition sur le titre avec un effet dégradé métal discret. Philippe Haïm est l'auteur du très bon Barracuda sorti en 1997 avec l'innocent Guillaume Canet et le monstrueux Jean Rochefort. Sa mise en scène froide et tendue il la perfectionne dans son Secret Défense. Le film est d'ailleurs plutôt réussi sur certains aspects comme par exemple la prison devenue un lieu de recrutement pour les radicaux de tous bords. Philippe dresse un parallèle intéressant entre la vie d'agent secret et de terroriste, finalement pas si éloignés que ça l'un de l'autre. Le problème c'est qu'il oublie que les deux peuvent être intimement liés et pas uniquement à cause d'un mode de vie solitaire ou du permis de tuer. N'oublions pas que c'est bien la CIA qui a monté de toute pièce un groupe de combattants surnommés "Al Qaida" en Afghanistan pour lutter contre les soviétiques dans les années 70. Dans la même période, la même CIA favorisait ce qu'on a surnommé "les années de plomb", en appuyant les services de renseignements italiens: de simples "porteurs de malettes" piégeaient des voitures aux quatre coins du pays en accusant les communistes, ce que les historiens ont appelé depuis: "les armes du Gladio", sorte d'armée secrète européenne destinée à empêcher par tous les moyens possibles la montée du communisme. Les exécutants eux, ignoraient tout de ce qui se tramait en coulisse, leur rôle était simplement de "déposer le colis" en échange d'un peu d'argent ou d'un passeport. Que ce soit en Orient ou en Occident, la "stratégie de la tension" ainsi que les méthodes de recrutement d'un terroriste sont les mêmes: nourrissez un chien errant et il deviendra fidèle jusqu'à la mort. Mais il ne s'agit là que de la partie visible de l'iceberg, l'attentat étant une arme politique massive il est impossible de mener une enquête de fond sur le sujet. C'est bien connu: pour tuer son chien on l'accuse de la rage.