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Youcef Mahmoudi


Un nouveau cinéma de genre est en train d'accoucher dans la douleur. Arnaud Montebourg sera content c'est du 100% made in France. Le duo Herbulot-Bronchinson filme dans la rue et à hauteur d'homme les coulisses de la drogue parisienne avec une photo crue et un montage "cut" à la Gordon Ramsay, eh oui parce que la came c'est comme la cuisine : un bon dosage des ingrédients pour un plaisir maximum... mais éphémère. Pour Dealer la réussite tient avant tout à la foi inébranlable d'un mec qui a connu le milieu et s'est saigné aux quatre veines pour financer son film : Dan Bronchinson. L'homme n'est pourtant pas issu de la "famille" cinéma alors comment ose-t-il débarquer avec des affiches aussi belles pour réussir son deal ? Les belles affiches lui ont demandé directement.

Retrouvez également Kosmodrome dans notre dossier spécial film français 2.0 en cliquant ici

L'affiche culte des dents de la mer présentée par Youcef Mahmoudi


Portrait de Youcef Mahmoudi

Bonjour Youcef. Tu dois être sur un petit nuage depuis ton prix à Hollywood. Comment Kosmodrome a-t-il été sélectionné ? Et quelles ont été les premières réactions à l'étranger ? Alors tout d'abord ce n'est pas le premier festival puisque j'ai fini le film en mars 2014 exprès pour l'inscrire au Short Film Corner du festival de Cannes. Presque en même temps il a été sélectionné pour le Art of Brooklyn Film Festival à New York, au Fantafestival de Rome et Indianapolis aux Etats-Unis.Fin juin donc je reçois un mail de Daniel Sol le responsable du HollyShorts Festival à Hollywood qui m'informe que Kosmodrome a été bien noté et visionné par plusieurs personnes. En fait tu passes par plusieurs filtres de notations etc... Il m'a demandé si cela me ferait plaisir de venir à Los Angeles pour participer au festival. Au départ je n'y allais pas pour gagner quoi que ce soit je trouvais ça juste extraordinaire d'être sélectionné et diffuser au Chinese Theatre !

Tu peux nous expliquer en quoi concerne le « Short Film Corner » ? En fait avec un film pas trop mal tu t'inscris au Short Film Corner mais il n’y a pas de projection. Ils reçoivent quand même des milliers de films. C'est surtout une opportunité de voir le festival de l'intérieur. Tu reçois une accréditation professionnelle et tu accèdes aux projections, au marché du film, à différents endroits du festival, sauf les conférences de presse réservées uniquement aux journalistes. Brièvement, peux-tu raconter la genèse du projet Kosmodrome ? C'est mon troisième court-métrage. A la base c'est un projet scolaire pour valider mon diplôme de fin d'année. J'ai commencé à travailler dessus courant avril-mai en voulant adapter la micro-nouvelle « Expérience » de Fredric Brown. J'ai présenté le film fin juin sous forme de trailer car il n'était pas encore fini, j'ai quand même obtenu une très bonne note ! J'ai pu finir totalement à la fin de l'été. Voilà vraiment le big bang du projet. Ceci dit la version finale présente beaucoup de différences. En fait je réalise que mon imagination travaille mieux avec un support, une autre œuvre... il faut beaucoup plus de temps pour travailler un scénario original, donc j'ai adapté « Expérience » en fonction de ce que je voulais voir en tant que spectateur. Je lui trouve un côté expérimental quelque part entre David Cronenberg et Chris Marker. C'est aussi ton avis ? De Chris Marker bien sûr son court-métrage La Jetée et l'autre c'est Stanley Kubrick pour plusieurs raisons : Dr Folamour pour le côté guerre froide et peur de la bombe nucléaire, 2001 Odyssée de l'Espace pour la conquête spatiale et Orange Mécanique pour la manipulation mentale que l'on peut effectuer sur les gens. De Cronenberg, à part le titre, Videodrome ne m'a pas inspiré plus que ça. Par contre beaucoup de gens m'ont parlé de Scanners, même si je ne l'ai pas vu. C'est une histoire de pouvoirs psychiques et il y a même une scène où une tête explose suite à un duel de télépathe ! En fait le court-métrage c'est un moyen de tester des expériences, de faire un travail de laboratoire, de recherches... D'ailleurs les références présentes dans ton film sont plutôt bien assimilées ce qui lui donne un aspect très personnel. C'est souvent le problème des jeunes auteurs, ils n'arrivent pas toujours à « digérer » leurs références. Comment y es-tu parvenu ? Bon c'est mon avis personnel mais je conçois le cinéma comme de la cuisine, j'essaye de préparer un plat qui me plaît avec des ingrédients qui me plaisent et obtenir quelque chose de nouveau. Je me dis que si ce plat n'est pas indigeste pour moi, alors il ne le sera pas pour le public aussi. Il y a bien quelques trucs qui ne fonctionnent pas mais j'apprends beaucoup, déjà je ne pensais pas en arriver là. Tu vois on dit toujours que le cinéma n'amène rien de nouveau mais je pense que si. Prends Tarantino par exemple, il a une approche très différente car il mélange pleins d'éléments pour obtenir des films très personnels, comme son Django Unchained. Tu as tourné avec des acteurs inconnus mais qui s'expriment dans leur langue natale. C'est ton côté Abdel Kechiche ? (rires) Alors pour rester dans l'actualité je dirais Jacques Audiard avec Dheepan. Ses acteurs ne sont pas de vrais acteurs mais jouent leur propre rôle. Il y a un processus de casting très important ; choisir la bonne personne pour le bon rôle et surtout facile à diriger. Ma première approche était que j'allais faire un film qui se déroule en Union Soviétique et il se trouve qu'il y a une forte communauté russe à Nice. Je suis parti dans une association qui s'appelle « La Maison de la Russie » et une dame très gentille m'a dit qu'elle avait la personne qu'il me faut. Elle m'a aussi demandé de revenir le lendemain matin avec des croissants (rires). Là je tombe sur Andrey Schuchard, un enseignant. J'ai décidé de lui faire passer un casting avec d'autres comédiens mais lui était tellement enthousiaste et motivé que j'en ai même modifié le scénario. Je me suis finalement plus axé sur lui que « Little Eagle », la petite fille, et grâce à son jeu ! Je trouve que c'est important de se garder des ouvertures pendant le tournage. Autre anecdote le personnage qui interprète Tsar au début était décrit comme obèse, très gros et très fort. Et puis on m'a conseillé Andreï Popov qui ne se déplace qu'en fauteuil roulant. Je me suis rendu compte que comme ça il dégageait beaucoup plus de force de persuasion, de dimension mentale... D'ailleurs parles-nous de ce casting. J'ai vu qu'il y a même des personnes de ta famille ? Celle de July Allard, mon assistante de réalisation. Son père en l'occurrence qui joue un officier soviétique. Nina la petite fille qui interprète « Little Eagle » prenait des cours de musique et c'est Andrey qui me l'a présentée. Elle était très timide, très réservée donc pour obtenir ce que je voulais je lui ai demandé de se regarder dans le miroir, de se faire peur et de me donner cette expression. Diriger une petite fille ce n'est pas trop difficile ? C'est très encadré, il faut respecter les rythmes scolaires et ne pas les faire tourner après 16h. Sa maman a beaucoup travaillé avec elle. Elle est russe également et j'ai remarqué que les russes ont une très forte capacité de travail, de rigueur, ils y vont à fond quoi ! (rires) Pour la petite histoire lors de la scène où elle hypnotise « Tsar » on n'avait droit qu'à un seul essai, j'ai dit à Nina que c'était la seule prise possible car les équipes de l'abattoir venait embaucher. J'ai juste dit : « Moteur, ça tourne, action ! » avec les gars derrière qui attendaient les bras croisés. Tu mets en scène des russes sur fond de guerre froide et d'expériences secrètes. Justement aujourd'hui on est dans un contexte tendu avec la Russie et la crise Ukrainienne. Est-ce que cela t'a inspiré pour le film ? C'est dans l'inconscient collectif. Mais ce n'est pas pour ça non. Je suis plus intéressé par la conquête de l'espace et la science-fiction des années 60. Il y avait tout ce mouvement psychédélique avec le LSD, Steve Jobs... C'était en total contradiction avec l'Union Soviétique où l'Etat te surveillait constamment. Ce sont deux nations opposées mais qui se faisaient la guerre dans le même but : conquérir l'univers. Je crois savoir que Kosmodrome a été sélectionné pour le festival de Novosibirsk en Sibérie. Comment les russes ont-ils accueilli ton film ? En fait c'est un festival français et il y a des équivalents dans d’autres pays. Il s'agit d'une série de festivals organisé par UniFrance et là c'était donc Novosibirsk, la troisième ville de Russie avec un cinéma magnifique. Je sais que les critiques ont été bonnes surtout pour le son, mais je n'étais pas présent c'est dommage. Ce n'est pas toujours facile de se déplacer sur les festivals avec l'avion, le prix des billets... Et puis pour les critiques il y a des opinions divergentes à chaque fois car ce n'est pas facile de rentrer dans le film. Kosmodrome a pas mal voyagé de festivals en festivals. Tu sens une différence entre les différents publics, ici en France et à l'étranger ? Je n'ai pas pu assister à toutes les projections mais je suis allé à Rome où les gens étaient assez favorables et puis Hollywood bien sûr, dans une grande salle. Je crois que c'est un film spécial qui mérite d'être vu plusieurs fois, mais bon, ils ont dû aimer puisqu'ils m'ont donné un prix (rires). J'adore voir des films, les revoir encore et encore. J'ai dû voir Inherent Vice 50 fois ! Nightcrawler aussi... ce sont des films qui se voient plusieurs fois. Tu vois ce que j'admire chez des gens comme Fincher ou Tarantino c'est que ce sont de vrais auteurs mais suivi par un large public. Tu es de Nice donc. C'est une région qui respire le cinéma et a donné beaucoup de grands réalisateurs et comédiens à l'hexagone. Pourquoi d'après toi ? Je ne sais pas... le festival ? Le soleil ? En tous cas on a un potentiel mais pas de structures pour les garder. Tu vois les studios Victorine à Nice sont en ruines et personne ne fait rien... peut-être pour bâtir des immeubles ou des logements. On a trois écoles de cinéma mais tous partent à Paris ou à l'étranger après. On est en plein festival de Cannes. Donne-nous tes impressions sur le festival. C'est plus une foire marketing ou une vraie mise à l'honneur du cinéma ? J’ai vu deux supers films : Sicario de Denis Villeneuve et The Tale of Tales de Matteo Garrone, ils m'ont vraiment beaucoup plu. Et puis tu respires le cinéma, c'est le plus gros festival du monde avec une excellente organisation et aucun retard sur les programmes. Je constate quand même que je suis de moins en moins d'accord avec certains des prix décernés. Alors les affiches. Que représente pour toi une affiche de film ? C'est le ticket d'entrée d'un film. Idéalement il ne faudrait rien savoir du film car c'est le meilleur moyen pour l'apprécier. Malheureusement il y a des informations partout : des bandes annonces, des trailers, des teasers, parfois même les scénarios ! Je suis même tombé par hasard sur celui de Django Unchained avant qu'il ne sorte ! Bref, l'affiche c'est l'accès idéal pour le film et avant il n'y avait d'ailleurs pas le choix ; tu avais l'affiche et c'est tout. Tu prends celle de Django par exemple c'est un échec artistique. Qui a réalisé celle de Kosmodrome ? Une graphiste russe : Daria Artamonova. Je lui ai demandé de se baser sur une campagne de la marque Sephora qui date de 2013. En fait c'est une exploration intérieure/extérieure de l'univers. Les visages se répètent en haut et en bas, on a l'idée de duel, de combat. Combat en partie gagné par le Lieutenant car il est en haut et regarde vers le ciel alors que « Little Eagle » est en bas et saigne des yeux. Elle est très simple mais donne envie d'en savoir plus. L'affiche de Kosmodrome Affiche Cloverfield, Apocalypse Now Redux et Pulp Fiction Tu as déjà vu un film grâce à son affiche, sans le connaître ? Non car je suis régulièrement le cinéma et son actualité. Cela ne m'est jamais arrivé de tomber sur une affiche sans la connaître. L'affiche dont tu es amoureux ? Pulp Fiction car elle est simple mais culte. Apocalypse Now Redux, c'est mon road movie préféré. Son affiche t'invite à rentrer dedans avec la rivière Dang qui se perd dans la jungle. Une belle affiche fait-elle un bon film ? Pas forcément. Prends Cloverfield par exemple, c'est un film de JJ Abrams plutôt moyen avec encore un monstre qui détruit tout mais son affiche est terrible. Un créateur d'affiche préféré ? Drew Struzan (Star Wars, Indiana Jones, Retour vers le Futur, Hellboy...), car il amène ce côté artisanal d'autrefois mais moderne. Souvent les réalisateurs nous confient que le distributeur a « trop » de pouvoir de décision sur la campagne d'un film et donc de ses affiches. Tu es de cet avis ? Oui plutôt d'accord, même si je n'y ai pas étais confronté directement... Même Tarantino n'aime pas l'affiche de Django ! Maintenant elles ont tendance à ressembler à des couvertures de magasines avec des mises en avant de la star. Je comprends les polémiques qui peuvent en découler. Qu'est-ce-que tu aimes voir sur une affiche et au contraire ce que tu n'aimes pas ? Ce que je n'aime pas : les têtes alignées sur l'affiche qui vend des acteurs, c'est trop commercial. J'aime par contre ce qui est minimaliste, bien fait artistiquement. Pour moi l'affiche est une œuvre qui ne doit pas trop donner d'informations sur le film. Par exemple j'aime beaucoup celle du court-métrage "On/Off" de Thierry Lorenzi. Dernièrement, quelle affiche tu as le plus aimé et pourquoi ? Interstellar mais les versions teaser, généralement celles de Fincher : Panic Room et puis Gone Girl. Tu l'interprètes d'une façon mais après avoir vu le film c'est autre chose. Elle te raconte tout en subtilité, c'est mystérieux avec cette lumière de côté. Dans sa version originale il y a Ben Affleck de dos, et le regard de la femme dans le ciel. On dirait que c'est lui qui essaye de cacher son meurtre... Un acteur ou actrice avec lequel ou laquelle tu rêves de tourner ? Alors beaucoup, mais le premier c'est impossible car il a prit sa retraite c'est Jack Nicholson. Tom Hardy aussi est extraordinaire, Michael Fassbender que j'ai vu à Cannes pour Macbeth est remarquable. Et puis chez les femmes je dirais Marion Cotillard, Cate Blanchett, Natalie Portman, Charlize Theron. J'aimerais beaucoup travailler avec Marc Duret car c’est un des meilleurs acteurs qu’on ait en France. J'avais même approché Jean-Claude Dreyfuss pour une masterclass en lui proposant un rôle dans ma première adaptation d'« Expérience ». On avait même fait une affiche avec lui pour lui montrer ce que ça donnerait, mais bon ça ne s'est pas fait. Ton film culte ? 2001, Odyssée de l'Espace, Apocalypse Now, d'ailleurs j’adore l’affiche de la version « Redux », bien que je préfère la version courte du film, et puis aussi Blue Velvet, Pulp Fiction, Taxi Driver... Ton réalisateur culte ? Kubrick et Tarantino. C'est drôle d'ailleurs car Tarantino déteste Kubrick... Après je ne sais pas ce que Kubrick pensait de Tarantino ! Ils sont dans des approches totalement différentes. Sinon Lynch, Fincher, Paul Thomas Anderson, les frères Coen, Roman Polanski... Le dernier film que tu as vu au ciné ? The Tale of Tales de Matteo Garrone, et Sicario de Denis Villeneuve. Il va d'ailleurs réaliser la suite de Blader Runner avec Ryan Gosling et surtout Roger Deakins, son directeur photo sur Sicario mais surtout celui des frères Coen ! Ta dernière « claque » au cinéma remonte à quand ? Avant hier, Sicario, grosse claque ! Tes projets pour 2015 et au-delà ? Alors plusieurs longs-métrages dont une trilogie de science-fiction. C'est un projet ambitieux et là je travaille sur les trois scénarios. Mais comme beaucoup de temps risque de passer, je vais peut-être réaliser un ou deux courts avant. Youcef, merci beaucoup. Je t'en prie, merci.