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Mathieu Turi : en terrain hostile


Difficile exercice de style que le “survival”. En effet, comment rendre son film original alors qu’on le sait dès le départ, tout le monde ou presque va y passer ? Pourtant les références sont nombreuses et les plus grands réalisateurs du globe s’y sont frottés avec une bonne dose de masochisme. Les américains d’abord avec des cultes-classiques comme Duel, Southern Comfort, Dawn of the Dead, The Walking Dead ou It Follows, puis les australiens avec Mad Max et Razorback, ensuite les anglais avec Dog Soldiers et Delivrance, et même les espagnols avec les récents Burried, Rec et The Shallows. Bref que des étrangers ou presque, car une poignée de metteurs en scène français a osé gravir un sommet jusque-là réservé aux autres : Djinns du couple Hugues et Sandra Martin, Forces Spéciales de Stéphane Rybojad, Ni le ciel ni la terre de Clément Cogitore (voir dossier spécial), The Divide du ch’ti Xavier Gens, le très jouissif La Horde des compères Dahan & Rocher et à présent « Hostile ». Alors pourquoi et comment avoir eu l’envie folle de se lancer dans un tel projet avec une créature, un désert et une jolie fille qui parle anglais ? Eh bien la parole est à la défense, un certain Mathieu Turi, réalisateur pas du tout hostile en fait.



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Le réalisateur Mathieu Turi pour Hostile

Bonjour Mathieu, peux-tu rapidement nous dire un mot sur ton parcours ? Je suis natif de Cannes, où j’ai tourné mes premiers courts-métrages entre potes. Après je me suis dit que ça pouvait peut-être devenir un métier ! Donc je suis monté à Paris à 18 ans et j’ai intégré l’ESRA. Ensuite je suis devenu assistant de réalisation adjoint et je me suis « fait la main » sur les parties françaises de quelques grosses productions comme GI Joe, Au-delà de Clint Eastwood ou Inglourious Basterds de Tarantino. En fait c’est une seule boîte française qui gère ça, alors j’ai pu travailler sur plein de tournages grâce à eux. Raconte-nous un peu la genèse de « Hostile » Alors j’ai fait un premier court-métrage qui s’appelait « Sons of Chaos » assez post-apocalyptique avec des masques, des bâtiments abandonnés... la totale ! (rires) ! J’ai été sélectionné au festival de Sitges en Catalogne, puis j’ai rencontré Xavier Gens (Frontière(s), The Divide, Cold Skin). On est très vite devenus des potes, et je lui ai « pitché » plusieurs idées. On a commencé à développer Hostile, on a rencontré plusieurs producteurs et finalement c’est Full Time Films qui a donné son accord en mai 2015. Un an après on était en tournage et maintenant on a le film ! Quand tu as les bonnes personnes ça va assez vite en fin de compte ! Tu as aussi réalisé un court-métrage « Broken », qui est d'autant plus beau qu'il se concentre sur les acteurs et évite la surenchère d'effets qu'on voit souvent dans les premières œuvres. C’était le but de base. Dans « Sons of Chaos », on manquait de direction d’acteur. Et j’avais cette idée de court-métrage plus concentré sur les comédiens: « Broken ». Comme c’était un huis-clos dans un ascenseur, je n’avais pas d’autres choix que de me focaliser sur eux (rires) ! Parle-nous un peu du tournage d’Hostile : les lieux, le casting, les moments forts... Alors on a eu vingt-quatre jours de tournage en tout mais sur trois continents, une expérience intense ! On a tourné cinq jours à New-York mais on était présents depuis une dizaine de jours déjà. Là-bas c’est très différent de la France, tout est géré par les syndicats, il faut s’adapter en permanence à leurs conditions, les équipes ont des méthodes différentes... Heureusement on avait un producteur exécutif français mais qui vit là-bas ce qui nous a facilité le truc. Ensuite on a tourné cinq jours à Paris, dont certains intérieurs censés être américains ! Après on est allés au Maroc où une équipe bossait déjà depuis deux mois sur les décors et les véhicules. On a tourné entièrement en décors naturels, dans le désert et en pleine nuit dans des conditions difficiles. Il y avait une équipe de cent personnes franco-marocaine à gérer, c’était compliqué mais passionnant quand tu aimes les films de genre ! J’imagine que ça doit être difficile de monter un projet « post-apocalyptique » en France, alors comment as-tu essayé de le rendre original ? En fait le film est basé à 50% sur du post-apocalyptique et à 50% sur l’histoire du passé de Juliette. C’est avant tout son drame romantique personnel qu’on revit grâce aux flash-back à New York. Il y a deux histoires de deux genres très différents qui se mélangent. Si tu aimes le gore par exemple, il n’y a pas que ça dans le film, même si on a quelques scènes bien violentes (rires) ! Le film dit « de genre à la française » souffre forcément de la comparaison avec le cinéma américain, même s’ils ne sont pas les seuls à en faire. Alors où se situe la « French Touch » dans Hostile ? Le genre post-apocalyptique a été massivement développé par les américains et les australiens, avec Mad Max bien entendu. Donc dès que tu fais un film « post-apo », dans le désert avec des bagnoles, la référence devient évidente. Et Miller re-débarque à 70 piges et te balance Fury Road en pleine gueule. Mais Hostile lorgne plus du côté d’un I Am a Legend de Richard Matheson, ou du jeu vidéo The Last of Us, même si on n’arrive pas à la cheville de ces deux monuments (rire) ! Alors oui, on tourne en anglais, car on veut que le film soit vu dans le monde entier et ne soit pas un gouffre pour la production. Et c’est déjà une réussite, car on sait déjà que le film sortira en salle en Allemagne, en Italie, et dans de nombreux autres pays dont je ne peux pas encore parler. Mais ça reste un film européen, dans le sens où j’ai eu une liberté totale pour faire le film que je voulais. Je n’aurais pas pu faire un film qui soit à ce point coupé en deux, mélangeant deux genres si différents, de façon aussi abrupte, si le film avait été fait dans une économie de studio. En tout cas pas en premier film. Donc pas de sorties prévues dans l’immédiat ? Pour la France, on va passer aux Utopiales de Nantes le 1er Novembre. Pour le moment c’est tout ce que je peux annoncer. Le film tourne en festival, quelles sont les premières réactions que tu reçois ? Le premier festival qu’on a fait c’était à Neuchâtel en Suisse pour le NIFFF (Neuchâtel International Fantastic Film Festival) et on a obtenu le Prix de la Jeunesse. On a aussi eu le Prix du Meilleur Film Etranger et les Meilleurs FX au FilmQuest et le Prix du Jury au FreakShow, tout ça aux Etats-Unis. On revient tout juste de Sitges où le film été en sélection, et il y en a encore beaucoup d’autres à venir avant la sortie du film l’année prochaine. Dans l’ensemble je suis très content des réactions car les gens sont surpris et réagissent à ce que je voulais faire, cette volonté de faire une histoire qui soit un mélange entre huis-clos post-apocalyptique et drame romantique. C’était un pari risqué, mais ça en valait la peine ! Les affiches du film Hostile de Mathieu Turi © Full Time Films The Thing VHS cover © Universal Pictures J'ai remarqué que tes affiches sont très travaillées, avec beaucoup de matières. Qui te les conçoit en général ? Depuis mes premiers court-métrages, mon compositeur Frédéric Poirier, qui est aussi un ami très proche depuis longtemps, possède, en plus de ses talents musicaux, celui de créer des affiches. Pour Hostile, il avait fait l’affiche teaser avec la silhouette. Puis, notre photographe de plateau, Mika Cotellon, nous a fourni des clichés incroyables. Frédéric a utilisé deux d’entre eux pour faire les deux autres affiches. J’aime intervenir dans tous les départements, et j’ai eu la chance de pouvoir faire de nombreuses remarques et ajustements sur chacune des affiches. Justement, as-tu déjà vu un film grâce à son affiche ? J’ai eu 30 ans cette année, donc j’ai eu la chance de connaître un peu les vidéo clubs avant qu’ils ne disparaissent. J’ai même bossé dans un CinéBank pendant plusieurs mois ! Quand j’étais gamin, on allait chercher un film, et on le choisissait juste avec les jaquettes. Celle d’Alien m’avait tout de suite intrigué. Cet œuf étrange, fendu, verdâtre, flottant dans le noir… Celle de The Thing est aussi étrange. Je me souviens de la jaquette française, avec le double visage torturé sur fond blanc. C’est le premier film que j’ai vu. J’avais 6 ans quand même ! J’étais planqué en secret derrière le canapé pendant que les adultes regardaient le film, et ça m’avait terrorisé. Il me fait le même effet aujourd’hui. Toutes ces affiches ne racontent pas le film c’est très conceptuel. Il y a celle de Gremlins aussi qui est magnifique(relire article sur John Alvin ici). L'affiche que tu peux contempler pendant des heures ? Bonne question ! Bizarrement, celle de Jurassic Park. C’est incroyable de voir qu’un blockbuster a gardé son affiche teaser finalement, c’est juste un logo. Le logo du parc, le logo du film et ça n’a jamais bougé, c’est très osé. Plus récemment, l’affiche de The Shape of Water de Del Toro est incroyable. Un dessin monochrome d’un monstre et d’une femme qui s’enlace. De la pure poésie, à l’image du film. Ta dernière claque au cinéma remonte à quand ? J’y vais de moins en moins, et les claques se font de plus en plus rares, mais j’ai vu Avatar sept fois au ciné, donc ça a dû me marquer (rires) ! Dans les blockbusters, certaines prises de risques donnent de petites perles, comme Logan ou War for the Planet of the Apes. Fincher m’a mis par terre avec Gone Girl, qui part d’un postulat qu’on pourrait retrouver dans un téléfilm, et qui, pourtant, devient un thriller implacable. La fin de Split m’a laissé bouche bée pendant plusieurs heures. Je suis aussi un immense fan d’Incassable. J’ai entendu dire que tu as des projets, tu peux en dire plus ? Alors je ne peux pas en dire grand-chose encore, mais c’est à un stade très avancé. Je suis à nouveau avec mes producteurs de chez Full Time Films, et on devrait tourner au printemps prochain si tout va bien. C’est un film concept très particulier, qui lorgne vers la SF pure. J’ai hâte de pouvoir en parler, et j’ai la chance de pouvoir enchaîner si rapidement. On dit que le deuxième film est le plus compliqué… Alors j’ai hâte de m’y confronter !



Hostile vs. There Will Be Blood

Les affiches du film Hostile de Mathieu Turi et There Will Be Blood de Paul Thomas Anderson © Full Time Films

Dans le genre crépusculaire, on a chiné deux magnifiques visuels avec du contre-jour et de l’arrière-plan dramatique. Le très, très dark « Il y aura du sang » du scientologue Paul Thomas Anderson avec le ténébreux Daniel Day-Lewis et notre « Hostile » national avec sa créature en pleine vidange. Alors comment on arrive à pareil résultat ? Eh bien en ayant la main lourde ! On sature à mort avec la teinte/saturation, on modifie sa chromie avec le calque de réglages balance des couleurs, on modifie ses couleurs primaires, principalement Cyan et Jaune. Veillez à bien cadrer votre image au « deux tiers-un tiers » pour éviter une symétrie trop ennuyeuse à l’œil. Rajoutez un peu de filtre bruit en mode incrustation opacité réduite. Pour la fumée utilisez des formes de pinceau personnalisées. Touches finales : un filtre halo en lumière tamisée et du noir, mettez-en partout en bas, vous apporterez de la légèreté avec le billing block et une belle identité.